Musique d’Iran
Les origines de la musique iranienne se perdent dans la plus lointaine antiquité. Une étude systématique est difficile du fait de la disparition des bibliothèques au cours des pillages et des destructions par les différentes invasions : grecques (300 av. JC), arabe (milieu du VIIème siècle), mongole (XIIIème siècle) et afghane (XVIIIème siècle), sans parler des déclins plus récents [1] : les périodes difficiles pour la poésie et la musique durant le règne des Safavides [2] . Dans la tradition ancienne, on liait la musique aux autres sciences et on trouvait des chapitres de théorie musicale dans les traités philosophiques, physiques et mathématiques. On voit apparaître, dès le IXème siècle, les grandes figures iraniennes, de Fārābi et Avicenne traitant la musique dans les différents aspects physiques et acoustiques [3]. Ils ont construit une théorie de la musique en usage dans les pays musulmans. Leur exposé comporte des règles qui pourraient s’appliquer à toute musique. Les savants comme Safiy‑yodin, Abd-ol-Qādir Ibn Qaybi, Mahmude Širāzi etc, venus à leur suite, recherchent des règles propres à la musique des pays musulmans et surtout convenant mieux à la musique iranienne, car cette théorie a été empruntée aux traditions plus anciennes de la musique iranienne. Citons l’échelle fixée par Safiy-yodin depuis le XIIIème siècle et admise par tout le monde musulman. Cette échelle existait dans la tablature du tanbur de Khorāsān (Sud-Est de l’Iran), ancien instrument à corde [4].
La musique iranienne, avec les musiques turque et arabe, fondent une grande famille depuis 1000 ans. Depuis 3 ou 4 siècles, peu à peu chaque membre de la famille a choisi des chemins d’évolution séparés. La musique iranienne avec celle d’Azarbāijān ont constitué la même famille tout en conservant beaucoup de points communs avec la musique irakienne[5]. Comme la plus part des pays de langues indo-européennes, l’Iran appartient au monde de la musique modale. Sa musique compte 12 systèmes modaux essentiels, les 12 Āvāz. Un Āvāz ou un Dastgāh se compose d’un nombre variable de séquences mélodiques appelées Guŝeh, qui se succèdent dans un certain ordre appelé Radif. La plupart des Guŝeh proviennent des poèmes. La musique iranienne est monodique, elle ne fait pas entendre plusieurs notes à la fois. Elle est riche de finesses d’exécution et d’expression auxquelles seule la ligne mélodique isolée peut atteindre.
La dignité de cette musique évite les éclats : le niveau sonore moyen relativement constant est le « mezza voce ». La tradition implique la stabilité du tempo. On ne trouve pas la notion de tonique, en revanche, certains degrés sont prédominants, en particulier la note Témoin dont nous en parlerons plus loin. La manière de jouer, les ornements, les retours et les recommencements au même point de départ constituent une rare complexité appartenant à une philosophie mystique. L’improvisation, dans un cadre avec des règles strictes, a une large place. Cette musique n’est pas tempérée et comporte des intervalles plus petits que demi-ton. Des notes successives de 1/4 de ton sont rares mais des notes joués avec 3/4 de ton de différence sont fréquentes. Il est intéressant de remarquer que les dessins mélodiques présentent un équilibre, une symétrie, qui se retrouvent dans les motifs des arts plastiques, des tissus et des tapis. L’enseignement est oral, transmis de bouche à oreille, la notation européenne ne peut servir que d’aide-mémoire.
L’élément dominant est le caractère expressif, selon Farāmarz Pāyvar: « peu importe le support : échelle, mode, mélodie, l’essentiel, c’est ce que nous transmettons. La théorie même nous semble secondaire et l’expression prime tout [6]. »
La plupart des maîtres de la musique classique iranienne étaient des soufis qui considèrent la musique comme un support puissant de méditation. Cette spiritualité a marqué tous les domaines de l’art iranien. Le grand musicien iranien, Majid Kiāni, cite les cinq critères formels de la musique savant iranienne : « la sonorité, les intervalles, les mouvements mélodiques, l’ornementation, le rythme. Dans toute sa production, l’artiste doit avoir des racines culturelles, ne doit pas être coupé de sa culture d’origine, et respecter les axes cités [7]. »
[1] Safavat Dariuŝ, Caron Nelly, Iran : les traditions musicales, Corrêa, éd. Buchet/Chastel, 1966, p.11.
[2] MahŠun Hasan, Tārix e musiqy-e Irān (Histoire de la musique d’Iran), Tehrān, éd. Simorq, Ier et II tomes, 1373(1994), p 276-365.
[3] Voir le tome 2 de D’Erlanger Rodolphe, La Musique Arabe, Tomes 2 et 4, Paris, éd. Les Geuthner et Institut du monde arabe, 2001.
[4] Barkechli Mehdi, Ma’rufi Moussā, La musique traditionnelle de l’Iran, Les système de la musique traditionnelle de l’Iran (Radif), Tehrān, éd. Honarhāyeh zybāye keŝvar, 1342 (1963), p. 1-5.
[5] AlizĀdeh Hosein, As’ady Humān, OftĀdeh Minā, BaiĀny Ali, KamĀl-Pur-TorĀb Mostafā, FĀtemi Sāsān, Mabāny e nazary e musiqy e irany (Fondements théoriques de la musique iranienne), Tehrān, ed. Mahoor, 1388 (2009).
[6] AlizĀdeh Hosein, et al., Mabāny e nazary e musiqy e irany (Fondements théoriques de la musique iranienne), Op. cit., p. 39.
[7] Cité par Jean During, During Jean, Quelque chose se passe, Le sens de la tradition sans l’Orient musical, La Grasse, éd. Verdier, 1994, p. 56-87.